Ces temps-ci, le Canada est considéré comme un exemple de progrès à l’échelle mondiale. Même The Economist, porte-parole officiel de l’ancien empire, présente sur sa page couverture notre pays comme un sauveur de la liberté. Il ne faudrait toutefois pas exagérer. En matière de liberté économique, nous ne présentons pas exactement une « épopée des plus brillants exploits ». Bien sûr, nous sommes un bon endroit pour démarrer une entreprise, mais certainement pas pour en assurer la croissance. Du moins, pas encore.

Aujourd’hui, la technologie numérique représente 4,4 % de l’activité économique, 600 000 emplois et 172 milliards de dollars de production. Nous sommes dans l’arène, il n’y a pas de doute ; il nous reste seulement à accéder au podium. Que nous faut-il pour y arriver ? Les possibilités et les lacunes du Canada étaient sous les feux des projecteurs vendredi dernier pendant le sommet Go North, remue-méninge à l’intention des entrepreneurs organisé par Google et RBC au centre Evergreen Brick Works de Toronto.

Voici dix grands principes qui ont émergé de cette rencontre, et quelques idées pour nous aider à les mettre en application :

1. Choisir une voie et s’y tenir

Le Canada a grimpé au classement des Jeux olympiques en investissant plus d’argent dans un moins grand nombre de sports. Nous devons adopter la même approche en matière de technologie. Mike Lazaridis, cofondateur de Research in Motion et de Quantum Valley Investments, a souligné le fait qu’il est difficile pour 35 millions de personnes d’exceller en tout. Il estime que nous devons concentrer nos efforts sur des grappes d’excellence. Son argument : si nous ne faisons pas partie des cinq meilleurs joueurs, nous ne pouvons pas attirer les investissements et les talents nécessaires.

Idée : Établir l’intelligence artificielle et l’informatique quantique comme des priorités nationales et mesurer la réussite du Canada à l’échelle mondiale dans ces domaines.

2. Attirer. Retenir. Rincer. Répéter au besoin.

Le talent a été le principal enjeu abordé pendant le sommet. Dans le domaine numérique, le talent n’est pas ce qui change la donne : c’est la donne elle-même. Pourquoi ? Dans le secteur de la technologie, les ressources humaines constituent la plus importante source de dépenses des entreprises. C’est la question qui intéresse le plus les investisseurs. Mais bien qu’on trouve au Canada un grand nombre de personnes compétentes dans les domaines de l’ingénierie et du démarrage d’entreprise, nous avons du retard à rattraper sur le plan du « talent chevronné », c’est-à-dire le type de personne qui a dirigé une entreprise de 10 millions de dollars ou plus et en a décuplé la valeur. Michael Litt a expliqué que son entreprise de renseignements vidéo, Vidyard, emploie trois cadres qui font le trajet des États-Unis, car il n’arrive pas à trouver le talent chevronné requis au Canada.

Il est également primordial de réussir à garder ces talents au pays. Pendant une présentation à l’Université de Waterloo, Ted Livingston, fondateur de l’entreprise de messagerie sociale Kik, a demandé aux étudiants combien de personnes comptaient rester dans la région après avoir obtenu leur diplôme. Sur les 500 personnes présentes, seulement trois ont levé la main. Combien prévoyaient se rendre à Silicon Valley ? Environ la moitié.

Le jour où nous pourrons retenir nos meilleurs ingénieurs et attirer des cadres dirigeants exceptionnels, l’effet d’entraînement sera impressionnant. Les taux d’imposition ont une incidence. Le prix des maisons et la qualité des milieux créatifs en ont souvent une encore plus grande. Par-dessus tout, les talents de calibre mondial veulent être entourés d’autres talents de même calibre, et ces personnes travaillent souvent dans les meilleures entreprises et universités du monde. Nous devons considérer comme une priorité l’objectif d’avoir de telles entreprises chez nous.

Idée : Mandater une agence pancanadienne pour trouver, recruter et retenir les talents de calibre mondial.

3. Créer des sièges sociaux canadiens

Les petits joueurs ont besoin des plus gros pour survivre, et le Canada a perdu un bon nombre de gros joueurs. Nous venons de retrouver ThomsonReuters, qui déménage son équipe de direction de New York à Toronto. C’est une excellente nouvelle, qui entraînera plusieurs décisions avantageuses pour les entreprises et les talents de la région de Toronto. La Colombie-Britannique a le même objectif en tentant de persuader des sociétés chinoises d’établir leur base nord-américaine à Vancouver. En bref, les sièges sociaux mondiaux sont les gros joueurs, et nous devons les recruter dans notre équipe.

Idée : Donner à une seule agence, formée d’un partenariat entre les secteurs public et privé et entre les niveaux fédéral et provincial, la mission de remporter des mandats mondiaux de premier ordre.

4. Acheter au Canada

De solides sièges sociaux permettent d’accroître le sourçage de talents et l’approvisionnement à l’échelle locale. Nos banques et nos compagnies d’assurance en font déjà beaucoup à cet égard, et elles peuvent en faire plus. Cela s’applique également à nos grandes entreprises de pièces d’automobiles, de production alimentaire et de détail. Le joueur le plus important est peut-être le gouvernement, qui pourrait appuyer beaucoup plus efficacement les entrepreneurs du secteur numérique en misant sur l’approvisionnement et les partenariats. Plusieurs entrepreneurs ont affirmé que le gouvernement doit être un client de la première heure pour leur donner de la crédibilité à l’étranger. Aujourd’hui, Ottawa dépense 9 milliards de dollars en biens et services importés. Une coordination beaucoup plus efficace est nécessaire, car un nombre trop élevé d’entreprises se perdent dans un processus d’approvisionnement complexe, alors qu’elles devraient investir ce temps dans le développement de produits.

Idée : Concevoir un pacte d’approvisionnement canadien qui fixe la norme pour l’ensemble des grandes sociétés et des instances gouvernementales.

5. Vendre aux États-Unis

Pour les entreprises du secteur de la technologie, les États-Unis ne représentent pas seulement un marché dix fois plus grand que le Canada : ce pays établit la norme mondiale. Les entreprises qui n’arrivent pas à s’y démarquer auront de la difficulté à le faire ailleurs. Plusieurs participants au sommet ont admis que leur plus grande erreur a été de ne pas aller aux États-Unis plus tôt, que ce soit pour chercher des clients, attirer des investisseurs ou travailler à Silicon Valley pendant un certain temps.

Idée : Faire en sorte que toutes les nouvelles dépenses publiques en capital soient assorties de cibles de croissance aux États-Unis.

6. Déclarer les problèmes nationaux à résoudre

Les gouvernements peuvent appuyer le secteur de la technologie en établissant des objectifs à l’égard de grands enjeux, comme les changements climatiques, la cybersécurité et l’immigration, puis en offrant des prix et du soutien pour inciter les entrepreneurs à trouver des solutions à ces problèmes. En jouant un rôle d’intermédiaire entre les secteurs privé et public, le gouvernement peut aussi stimuler le financement dans des secteurs clés et lancer la recherche. Par exemple, le gouvernement canadien s’est engagé à investir 1 milliard de dollars pour contribuer au développement des technologies propres, ce qui est bon signe. Mike Lazaridis a souligné l’importance de la philanthropie stratégique, illustrée par son propre appui de l’Institut Périmètre de Waterloo, comme moteur du financement public. Autre exemple : Google.org vient d’annoncer un défi Impact Challenge, dans lequel 5 millions de dollars seront distribués à dix organismes canadiens pour concrétiser des idées qui changeront le monde au moyen de la technologie.

Idée : Voir le point 6.

7. Attirer du capital intelligent

Pendant le sommet Go North, les entrepreneurs ont reconnu qu’il n’y a jamais eu autant de capital accessible pour appuyer la croissance des entreprises. Mais il ne s’agit pas toujours de capital « intelligent ». Les entreprises en démarrage ont besoin de capitaux offrant un horizon de dix ans pour concrétiser les idées, ainsi que du soutien intellectuel en plus du soutien financier. Au Canada, la majorité du capital intelligent vient actuellement des États-Unis, où les sociétés de capital-risque ont beaucoup plus d’expérience en matière d’expansion mondiale des entreprises. Les Canadiens doivent donc rechercher des investisseurs à l’extérieur de l’écosystème actuel et tenter d’obtenir des capitaux auprès d’investisseurs providentiels bénéficiant d’une bonne crédibilité. Selon Harley Finkelstein, chef de l’exploitation de Shopify, les mentalités canadiennes doivent changer et mettre davantage l’accent sur la liquidité secondaire. Non seulement ce type de fonds contribue à la croissance des entreprises, mais il récompense également les fondateurs sans les forcer à vendre leur entreprise.

Idée : Inciter les sociétés mondiales de capital-risque à s’étendre au Canada.

8. Attirer des personnes intelligentes

Le ministre de l’Innovation, Navdeep Bains, a rappelé au public que l’importation des meilleurs talents ne vole pas d’emplois aux Canadiens. Les immigrants qualifiés, et surtout les entrepreneurs, favorisent au contraire la création d’emplois. Le problème, c’est que dans le système d’immigration canadien, il peut falloir des mois, voire des années, avant que ces personnes arrivent au pays. Or, les occasions n’attendent pas des mois, et encore moins des années. Afin de décrocher une place sur le podium des technologies numériques, il nous faut un programme de « voie express » permettant aux bonnes personnes d’immigrer au bon moment pour saisir les bonnes occasions.

Idée : Créer une nouvelle classe de visas professionnels pouvant être co-administrés par des groupes sectoriels.

9. Attirer des mentors intelligents

Le Canada compte bon nombre d’accélérateurs et de programmes de démarrage d’entreprise, qui sont plutôt efficaces. Notre pays a toutefois une lacune sur le plan des réseaux de mentorat. Les entrepreneurs du sommet Go North estiment que les meilleurs mentors ont un an de plus qu’eux et sont encore sur le marché de l’emploi. De plus, ils viennent d’entreprises bien établies, comme des banques ou des fabricants. En réalité, les meilleurs mentors sont malheureusement des personnes qui n’ont pas le temps à consacrer au mentorat. L’heure est venue de les inciter à le faire.

Idée : Bâtir une plateforme de médias sociaux canadienne destinée aux entrepreneurs et aux mentors.

10. Favoriser la diversité à l’ère numérique

Le Canada continue de faire piètre figure sur le plan de la mixité dans le milieu des affaires. On retrouve le même problème dans le secteur de la technologie, ce qui donne au Canada la possibilité de devenir un chef de file. Aujourd’hui, 13,1 % des sièges de conseils d’administration sont occupés par des femmes dans les grandes entreprises, et 40 % des entreprises n’ont aucune femme au sein de leur conseil d’administration. Les entreprises en démarrage ne font pas vraiment mieux. Même si de plus en plus de femmes obtiennent un diplôme collégial ou universitaire dans des programmes de science, technologie, ingénierie et mathématiques (STIM), elles ne restent pas dans le milieu des technologies numériques. Les entreprises en démarrage, les entreprises en expansion et les grandes entreprises peuvent changer cette situation en attirant une variété d’étudiants dans des programmes de technologie, en transformant l’idée de ce à quoi un ingénieur « typique » ressemble et en accueillant à bras ouverts la diversité de pensée.

Idée : Lancer une base de données publique pour surveiller l’équilibre entre les sexes au sein des entreprises, des sociétés de capital-risque et du secteur.

John Stackhouse est un auteur à succès et l’un des grands spécialistes en matière d’innovation et de perturbations économiques au Canada. À titre de premier vice-président, Bureau du chef de la direction, il dirige la recherche et exerce un leadership avisé concernant les changements économiques, technologiques et sociaux. Auparavant, il a été rédacteur en chef du Globe and Mail et éditeur du cahier « Report on Business. » Il est agrégé supérieur de l’institut C.D. Howe et de la Munk School of Global Affairs and Public Policy de l’Université de Toronto, en plus de siéger aux conseils d’administration de l’Université Queen’s, de la Fondation Aga Khan Canada et de la Literary Review of Canada. Dans son dernier livre, « Planet Canada: How Our Expats Are Shaping the Future », il aborde la ressource inexploitée que représentent les millions de Canadiens qui ne vivent pas ici, mais qui exercent leur influence depuis l’étranger.

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