Les cryptomonnaies sont certainement l'un des sujets brûlants du monde de la finance.

Mais le bitcoin étant revenu sur terre, passant d’un sommet de 20 000 $ en décembre à 7 000 $ ce mois-ci, s’agit-il en fait de la prochaine bulle qui éclatera ?

À l’occasion de notre dernier événement Les innovateurs RBC, nous avons posé cette question à trois experts en la matière :

Hilary Carter, directrice de la recherche au Blockchain Research Institute, à Toronto ;

Christian Lassonde, fondateur et associé directeur de Impression Ventures, qui se spécialise dans les investissements en technologie financière ;

Matthew Spoke, chef de la direction de Nuco, une société de chaînes de blocs qui crée un réseau afin de relier les chaînes de blocs à l’échelle planétaire.

M. Lassonde considère que les cryptomonnaies sont davantage un actif spéculatif qu’un instrument d’échange, et que leur popularité s’explique surtout par l’appât du gain et l’engouement. M. Spoke n’est pas de cet avis ; il croit plutôt que les cryptomonnaies expriment un mécontentement envers le système financier centralisé. Quoi qu’il en soit, Mme Carter croit que les grandes sociétés et les gouvernements doivent s’intéresser aux technologies des chaînes de blocs susceptibles d’éliminer les frictions et les coûts associés à une comptabilité centralisée, que ce soit dans le cadre d’opérations financières ou d’autres instruments d’échange.

Voici quelques échos de cette rencontre.

1. Qu’est-ce qui cloche ?

Pendant des siècles, l’argent a été géré et contrôlé de façon centralisée pour des raisons de sécurité personnelle et de stabilité économique. Cependant, l’accès illimité à l’échange électronique et à l’infonuagique pourrait bien faire sombrer dans la désuétude ces grands livres centralisés. Du moins, c’est ce que les défenseurs des cryptomonnaies aimeraient bien vous faire croire. Ils croient que toutes les opérations financières peuvent être enregistrées en temps réel, et chiffrées, sur n’importe quel ordinateur dans le monde. On peut voir cela comme un jeu de cartes sans donneur. Et si nous aimons la présence du donneur, pour faire le suivi des cartes et du pointage, et pour surveiller les autres joueurs à notre place ? La plupart des consommateurs apprécient la centralisation, qu’il soit question de plateformes de médias sociaux (Facebook), de plateformes de divertissement (Netflix) ou d’argent (dollar américain). De plus, nous avons déjà à notre disposition un vaste choix de systèmes, dont les paiements numériques, qui fonctionnent plutôt bien. Nous pouvons même constater une amélioration des points de friction, par exemple les paiements transfrontaliers, grâce à la technologie et à la concurrence. Mme Carter considère néanmoins que les cryptomonnaies seraient utiles dans des parties du globe où la technologie et la concurrence ne sont pas généralisées, ou dans des endroits où règne une piètre confiance envers le système bancaire. Elle estime que 2,5 milliards d’humains n’ont pas accès aux institutions financières traditionnelles. Les cryptomonnaies pourraient offrir une solution de rechange à ces personnes, et même être essentielles pour mettre leur argent à l’abri de gouvernements corrompus.

2. N’est-ce pas un moyen détourné pour blanchir de l’argent ?

Les cryptomonnaies déclenchent les alarmes des organismes de réglementation du fait qu’elles sont un choix évident pour les personnes qui ne souhaitent pas attirer l’attention. Même d’importants investisseurs ne veulent pas toucher aux cryptomonnaies en raison de leurs liens avec l’économie clandestine et les activités illicites, comme la contrebande, la fraude fiscale et le financement du terrorisme. Comme le souligne M. Lassonde, on ne souhaite pas que l’argent qui y circule puisse être retrouvé ou reconnu. Il croit que les blanchisseurs d’argent et les gouvernements qui font fi des sanctions utilisent à profusion les cryptomonnaies, de sorte qu’ils ne sauraient échapper encore longtemps aux représailles des organismes de réglementation mondiaux. Peut-on corriger la situation à temps ? M. Spoke, qui est favorable aux cryptomonnaies, admet qu’une solution est improbable puisque la technologie est déjà utilisée et qu’il y a déjà un « arbitrage réglementaire » en cours. Il croit tout de même que la technologie sous-jacente pourrait servir à cibler les abus et à débusquer les fautifs, qui chercheront toujours de nouvelles façons de transférer leur argent. Selon lui, si l’on condamne les cryptomonnaies, les contrevenants trouveront une nouvelle astuce. Chaque technologie apporte son lot d’éléments positifs et négatifs ; il ne reste qu’à souhaiter que les éléments positifs l’emporteront au fil du temps. Les cryptomonnaies en sont un exemple parfait.

3. Qu’arrivera-t-il si les organismes de réglementation abolissent les cryptomonnaies ?

Le gouvernement de la Chine a sévi contre les cryptomonnaies. Tout d’abord, il a banni les premières émissions d’une cryptomonnaie l’an dernier, puis a annoncé cette année qu’il surveillerait les échanges de cryptomonnaies. Est-ce que les investisseurs canadiens en cryptomonnaies s’exposent au même risque de sanction ? M. Lassonde croit que oui ; il cite l’exemple des plateformes de partage de musique poste-à-poste qui ont disparu après l’imposition de règles. Selon lui, dans un délai de cinq ans ou plus, les lois pourraient subir des modifications rendant illégale la possession de cryptomonnaies. Les États centralisés ont à leur disposition des outils hautement efficaces pour anéantir les cryptomonnaies. Mme Carter et M. Spoke voient la situation différemment et jugent que le Canada pourrait avoir l’occasion d’agir en instigateur. Le fait d’accorder le statut de devise aux cryptomonnaies permettrait au gouvernement fédéral de consentir des licences pour les portefeuilles numériques. À leur avis, une telle mesure assurerait la sécurité des actifs des Canadiens. Cependant, M. Spoke s’inquiète de ce que les fonctionnaires ne consacrent pas suffisamment de temps à cette question. À son avis, ce sont les gouvernements et les organismes réglementaires à l’échelle planétaire qui comprennent le moins les cryptomonnaies.

4. Toutes ces préoccupations empêcheront-elles les cryptomonnaies de devenir généralisées ?

Les cryptomonnaies demeurent en périphérie, utilisées principalement par les fervents de nouvelles technologies, les spéculateurs et les amateurs de sensations fortes. M. Lassonde pense qu’il faudra un changement de comportement majeur pour que leur utilisation devienne courante. De plus, il faut habituellement qu’une grande organisation fasse un investissement majeur dans l’infrastructure nécessaire pour créer les plateformes à l’intention des entrepreneurs et des développeurs. Il dresse un parallèle avec l’approche d’Apple par rapport aux téléphones intelligents, sauf que dans le cas des cryptomonnaies, aucun grand développeur ne s’est manifesté. Sans un tel investissement, il soutient qu’il sera difficile d’assurer une croissance massive. Mme Spoke partage son opinion, précisant que si nous n’arrivons pas à accroître considérablement l’accès à ces systèmes et l’efficacité de ceux-ci, il est peu probable qu’ils se répandent.

5. Est-ce que les cryptomonnaies pourraient trouver leur utilité dans d’autres domaines ?

Si les organismes de réglementation décidaient de réprimer l’utilisation des cryptomonnaies, la technologie sous-jacente pourrait servir dans des domaines moins réglementés, comme les élections et les inscriptions des entreprises. Mme Carter précise que les gouvernements sont intéressés par les « applications non monétaires » comme moyen de réduire les inefficacités ; ainsi, ils pourraient vouloir faire des essais dans des domaines qui nécessitent actuellement un grand livre centralisé. Les permis de conduire et l’immatriculation de véhicules en sont des exemples. Elle conclut en nous posant une question : « Si vous êtes le Blockbu
ster d’aujourd’hui, qui sera le Netflix de demain ? »
 

John Stackhouse est un auteur à succès et l’un des grands spécialistes en matière d’innovation et de perturbations économiques au Canada. À titre de premier vice-président, Bureau du chef de la direction, il dirige la recherche et exerce un leadership avisé concernant les changements économiques, technologiques et sociaux. Auparavant, il a été rédacteur en chef du Globe and Mail et éditeur du cahier « Report on Business. » Il est agrégé supérieur de l’institut C.D. Howe et de la Munk School of Global Affairs and Public Policy de l’Université de Toronto, en plus de siéger aux conseils d’administration de l’Université Queen’s, de la Fondation Aga Khan Canada et de la Literary Review of Canada. Dans son dernier livre, « Planet Canada: How Our Expats Are Shaping the Future », il aborde la ressource inexploitée que représentent les millions de Canadiens qui ne vivent pas ici, mais qui exercent leur influence depuis l’étranger.

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