Aller au contenu principal
RBC
Il y a six ans, tout semblait sous contrôle pour l'auteure et médecin Jillian Horton. En réalité, cette médecin et mère attentionnée se trouvait à deux doigts de l'effondrement personnel et professionnel.

Les médecins sont formés pour prendre soin de leurs patients. Cependant, lorsqu’ils ont eux-mêmes besoin de soutien, il peut être difficile de trouver de l’aide. La conférence Canadian Women in Medicine (CWIM) a été mise sur pied avec pour mission de soutenir les femmes en médecine et de défendre leur bien-être afin qu’elles puissent s’épanouir. Sa cinquième édition annuelle a marqué le plus grand rassemblement de femmes médecins en Amérique du Nord. Le thème de cette année était le bien-être, et la conférencière Jillian Horton, docteure en médecine, était l’une des invitées les plus attendues.

Son monde moins que parfait

Éducatrice médicale, écrivaine, musicienne et baladodiffuseuse primée, la Dre Horton a obtenu une maîtrise en anglais de l’Université de Western Ontario et a suivi sa formation médicale à l’Université de Toronto, où elle a occupé les postes de doyenne associée et de directrice associée de la médecine interne. Pendant deux décennies, elle a soigné des milliers de patients dans un hôpital du centre-ville, a encadré des centaines d’étudiants, et a donné naissance à trois fils. La Dre Horton est actuellement interniste générale et occupe plusieurs postes de direction au Max Rady College of Medicine de l’Université du Manitoba, à Winnipeg.

Six ans auparavant, elle semblait au meilleur de sa forme. La réalité était toutefois bien différente, puisqu’en privé, la Dre Horton portait un lourd secret. « Souvent, les personnes qui sont très douées pour résoudre les problèmes des autres ne le sont pas autant pour résoudre les leurs, dit-elle.

Quand je repense à cette période de ma vie, je me rends compte maintenant que j’ai connu de multiples épisodes d’épuisement professionnel pendant la majeure partie de ma carrière. »

Une occasion de réflexion personnelle

C’est un collègue de la Dre Horton lui a suggéré de participer à une retraite de méditation supervisée par le Dr Mick Krasner, qui enseignait depuis dix ans à des médecins épuisés la pleine conscience, l’autorégulation et la conscience de soi émotionnelle. D’abord réticente, la Dre Horton a compris que des mesures s’imposaient si elle espérait poursuivre sa pratique de la médecine.

« Au départ, je pensais que j’apprendrais quelque chose qui aiderait mes étudiants. Toutefois, la personne que j’ai réellement appris à aider dans le cadre de ce cheminement, c’est moi-même, et c’est probablement la chose la plus importante et la plus salutaire que j’ai jamais faite, explique-t-elle.

J’ai appris à parler de certaines des choses dont j’avais porté le poids ou que je m’étais reprochées pendant toute ma carrière, et à intégrer différemment certaines de mes expériences. Ça a complètement changé ma vie. »

Aujourd’hui, la Dre Horton enseigne la méthode du Dr Krasner à d’autres médecins et dirige la mise en œuvre de nouveaux programmes liés au bien-être des médecins. Le roman sur lequel elle travaillait depuis des années s’est transformé en autobiographique à succès, intitulée We Are All Perfectly Fine : A Memoir of Love, Medicine and Healing. Publié en 2021, le livre raconte l’expérience de la Dre Horton en tant que médecin et mère attentionnée au bord de l’effondrement personnel et professionnel. Il offre également aux médecins des pistes de solution pour les aider à s’exprimer et à mieux prendre soin d’eux-mêmes et, au bout du compte, de leurs patients.

Tout n’est pas rose pour tout le monde

Dans sa séance de la conférence intitulée « We are not all perfectly fine : How telling our stories will transform our culture », la Dre Horton a insisté sur la manière dont le système médical actuel – avec son programme de formation punitif et les privations de sommeil et le stress incessant qui y sont associés – forme des médecins à qui l’on n’apprend jamais à prendre soin d’eux-mêmes.

« En médecine, on accorde plus d’importance à l’esprit critique qu’à la sensibilité émotionnelle. Nous sommes conditionnés à ne penser qu’en termes professionnels et critiques, affirme-t-elle.

Nous devons intérioriser l’idée d’autres modes de connaissance et cesser de laisser d’autres personnes définir unilatéralement ce qu’est le professionnalisme. Il faut être prêt à tirer d’autres conclusions sur ce qui nous a aidés et ce qui nous a nui, et il faut beaucoup de force pour le faire. »

Une démarche positive vers le changement

Un moyen de lutter contre l’épuisement professionnel et le suicide chez les médecins est de vaincre la peur du jugement et de faire part de ses expériences authentiques, explique la Dre Horton. Celles-ci sont de puissants vecteurs qui permettent aux professionnels de la santé de mettre en œuvre des changements sur le plan personnel, systémique et institutionnel. En instaurant un climat de confiance, de soutien et d’empathie, les médecins peuvent transformer la culture médicale.

« La pleine conscience, la communication narrative, l’autorégulation et le fait de trouver le courage de parler franchement de sa propre vie – toutes ces choses sont profondément liées, ajoute la Dre Horton.

Nous sommes programmés pour écouter autrui, et cette écoute stimule nos émotions et mène à la libération d’ocytocine. C’est alors que nous ressentons de l’empathie, ce qui modifie notre comportement et notre réaction.

Nous avons déjà constaté un changement significatif dans la façon dont les praticiens de la santé perçoivent leurs expériences et leur culture », précise-t-elle. En 2021, le Dr Colin West – l’un des principaux porte-parole du bien-être des médecins – a étudié l’utilisation critique des récits, et la manière dont les professeurs pouvaient faire part de leurs propres problèmes de santé mentale pendant la formation pour obtenir une réponse favorable chez les étudiants.

« Il y a des risques à parler de nos expériences, mais il est plus risqué encore de ne pas le faire, affirme la Dre Horton.

Pour vaincre la peur de confier sa vérité, il faut d’abord cultiver un réseau de soutien, a-t-elle indiqué aux participants de la conférence. Entourez-vous de gens de confiance, et gardez-les près de vous pour le restant de votre vie, car ils vous aideront à intégrer ces émotions, à poursuivre votre pratique comme vous l’entendez et à être la personne que vous avez toujours rêvé d’être. »

Chaque histoire compte

Il y a plusieurs années, la Dre Horton a écrit une bande dessinée pour ses étudiants afin de leur faire part de son vécu.

« J’y parlais de mes problèmes mentaux à la faculté de médecine et pendant ma résidence, du doute que j’avais envers mes capacités, du syndrome d’imposteur que je ressentais et de mes soucis les plus intimes. Jamais je n’aurais imaginé que ça aurait un tel retentissement chez mes étudiants », se souvient-elle.

Lors de la cérémonie de remise des diplômes de cette année-là, la major de promotion a raconté les moments forts de ses études de médecine, mais aussi les épisodes de traumatisme grave dont elle avait été victime pendant cette période, notamment des pensées suicidaires. Plus tard, elle a confié à la Dre Horton que c’était sa bande dessinée qui lui avait donné le courage de raconter son histoire, dans l’espoir de pouvoir aider ses camarades.

« Notre profession est très problématique en ce qu’elle nous prive de véritables occasions de concilier travail et vie privée, et la meilleure chose que nous puissions faire est de nous exprimer en toute honnêteté et d’admettre que oui, nous avons souffert d’épuisement professionnel, dit-elle.

Les témoignages que nous n’entendons pas sont encore plus importants que ceux que nous entendons. C’est grâce à ces récits que nous pouvons comprendre ce qui a pu arriver aux personnes qui nous ont quittés ou à celles qui sont trop blessées pour raconter leur histoire. Nous avons tous une histoire, et nous devons être prêts à en réécrire la fin. »

Articles connexes :