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RBC
Âgée de douze ans, Ella n'a peut-être rien de spécial en apparence, mais elle pense comme une entrepreneure.

Cette jeune de Vancouver fabrique à la main et vend de jolis signets ornés de pompons de laine. Elle verse l’ensemble du produit de ses ventes à la Southlands Therapeutic Riding Society, un organisme sans but lucratif local qui offre des programmes d’équitation aux enfants et aux adultes vivant avec un handicap physique ou un déficit cognitif. À ce jour, Ella a recueilli plus de 3 700 $.

« Quand je ne suis pas sûre de la voie à adopter, dit-elle dans une vidéo YouTube qui présente son entreprise, je regarde la liste des valeurs d’entreprise qui me tiennent à cœur et guident mes actions : m’amuser, apprendre constamment, donner l’exemple, établir des rapports harmonieux et créer des changements positifs. »

Ella a conçu son projet en se fondant sur les principes d’entrepreneuriat qu’on lui a enseignés au camp d’été de Startup Skool, un programme créé il y a deux ans. Les camps proposés par Startup Skool favorisent l’acquisition de connaissances pratiques en matière de création d’entreprise, de réflexion axée sur la conception et de technologie. Ils s’adressent aux jeunes de huit à dix-huit ans, c’est-à-dire à une fraction importante de la génération Z, nom donné aux personnes nées entre le milieu des années 1990 et le début des années 2010. Startup Skool offre des camps à Vancouver, Victoria et Burnaby.

Parlant du type de jeunes qui fréquentent Startup Skool, Kim Cope, fondatrice du programme, déclare : « Nombre d’entre eux veulent travailler pour des organismes sans but lucratif ou des entreprises sociales. C’est un élément central de leur orientation. »

Cet intérêt pour les projets humanitaires est aussi une caractéristique de nombreux milléniaux, estime François Brouard, professeur au Centre Sprott pour les entreprises sociales de l’Université Carleton, dont il est également le directeur fondateur. Ce centre de recherche s’intéresse particulièrement aux entreprises guidées par une mission sociale. Toutefois, selon lui, cette orientation pourrait être encore plus marquée chez les membres de la génération Z, actuellement inscrits au premier cycle universitaire ou arrivant à ce niveau.

« Les étudiants sont plus désireux de créer des entreprises sociales qu’ils ne l’étaient il y a à peine dix ans, dit-il. Ils doivent cependant composer avec une réalité difficile sur le plan financier. »

Peut-être parce qu’ils ont été témoins des difficultés considérables rencontrées par les milléniaux dans une économie marquée par la crise financière, bon nombre de Z réfléchissent à ce qu’ils pourraient faire pour maintenir un équilibre entre leur conscience sociale et la nécessité de subvenir à leurs besoins.

« Même s’ils ne font pas encore partie de la main-d’œuvre active, les jeunes qui fréquentent Startup Skool semblent inquiets à la perspective de s’y intégrer, dit Mme Cope. Ils interrogent constamment les instructeurs au sujet des diplômes dont ils auront besoin. Quelles seront les compétences pertinentes ? Ces jeunes sont plus inquiets face aux possibilités d’emploi futures. Cela dit, ils semblent aussi beaucoup plus ouverts à l’idée de travailler à la pige ou comme contractuels, ou d’avoir un emploi qui n’est pas stable. Leur liberté leur tient à cœur. »

M. Brouard pense que ce besoin de liberté pourra jouer un rôle déterminant dans la façon dont les Z finiront par s’intégrer à la population active. De plus, compte tenu du vide énorme que laissera dans cette population le départ à la retraite des baby-boomers, les Z pourraient être en meilleure position que les milléniaux pour choisir des emplois vraiment à leur goût.

« Je crois qu’ils seront plus disposés à travailler à un salaire moindre dans une entreprise sociale ou un organisme sans but lucratif si, en retour, ils peuvent mener une vie qui est en accord avec leurs valeurs, estime M. Brouard. Nous observons ce phénomène chez des étudiants plus vieux qui retournent aux études afin d’obtenir un MBA qui leur permettra de faire autre chose. Je crois toutefois que les membres de la jeune génération “verront la lumière » plus tôt. Dans certains cas, ce pourra être dû aux dettes qu’ils auront contractées, et donc à l’habitude prise de vivre avec des moyens financiers limités. Mais je m’attendrais à ce qu’ils choisissent de continuer à vivre avec moins d’argent [afin de faire carrière dans des domaines en accord avec leurs valeurs]. »

Je regarde la liste des valeurs d'entreprise qui me tiennent à cœur et guident mes actions : m'amuser, apprendre constamment, donner l'exemple, établir des rapports harmonieux et créer des changements positifs.

Ella, fondatrice d'Ella Poms

Tout comme Mme Cope, M. Brouard croit que les Z choisiront la flexibilité plutôt que l’attrait exercé traditionnellement par un emploi stable. « Ils pourraient rechercher des projets d’envergure et de durée limitées, puis passer à autre chose – peut-être dans le même domaine, mais dans une autre fonction – plutôt que de s’engager dans la quête d’une carrière prestigieuse et d’une maison qui le serait tout autant. »

La technologie pourrait aussi jouer un rôle important en soutenant cette vision de l’emploi fondée sur des valeurs. Pour beaucoup de gens, indépendamment de leur âge, le courrier électronique et le téléphone intelligent repoussent déjà les limites de la journée de travail, ou ont même complètement effacé la frontière entre la vie professionnelle et la vie personnelle.

Plus tôt cette année, lors d’un sondage réalisé conjointement par le Globe and Mail et l’agence de marketing auprès des jeunes Yconic, un tiers des étudiants interviewés ont indiqué qu’ils recevaient ou envoyaient plus de 50 textos par jour. Douze pour cent ont indiqué un nombre de textos supérieur à 200.

« À l’époque où les gens pouvaient quitter le travail à 17 h le vendredi et n’y revenir que le lundi à 9 h, on ne considérait pas comme particulièrement dramatique le fait de ne pas aimer son travail, dit M. Brouard. Toutefois, c’est autre chose quand on n’aime pas son travail et qu’il envahit toute notre vie, jour et nuit, sept jours sur sept… Cette pression accrue s’exercera sur les membres de la génération Z – qui auront donc intérêt à vraiment aimer ce qu’ils font. »

L’important facteur que constitue la conscience sociale, Mme Cope, de Startup Skool, l’avait clairement remarqué chez les jeunes de tous les profils, et pas seulement chez ceux qui sont attirés par les camps axés sur l’entrepreneuriat. « Il s’agit vraiment d’une tendance très forte, beaucoup plus que chez les membres de ma génération. »

« Nous offrons un programme technologique à l’intention des jeunes qui désirent apprendre la programmation, dit-elle ; or, même dans ce contexte, je vois des jeunes qui, par exemple, ont conçu des jeux vidéo qui présentent les requins comme une espèce menacée. Un jeune de 16 ans nous a absolument époustouflés en concevant un jeu de réalité virtuelle permettant de se mettre dans l’état d’esprit d’une personne atteinte d’un trouble mental. Quand on jouait à ce jeu, on n’arrivait pas à en comprendre le but, car on devait simplement prendre des décisions de tous les jours. L’intention du concepteur était d’amener les gens à faire preuve d’empathie et à comprendre l’énorme difficulté que peut représenter la prise de décisions de tous les jours pour une personne atteinte d’un trouble mental.

« Ce sont des concepts extrêmement avancés, et je ne me serais vraiment pas attendue à ce que ces jeunes les connaissent. Or, ils y pensent d’eux-mêmes. »

Cet article a été publié initialement dans le Globe and Mail en octobre 2016.