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RBC
Marianne Bertrand n'a pas toujours été propriétaire de chiens. C'est lorsqu'elle l'est devenue – par un bel hiver où le mercure tutoyait les moins 32 degrés – qu'elle a eu l'idée des Muttluks. Par son cran et sa créativité, elle a transformé cette idée en une entreprise canadienne emblématique.

Par un hiver glacial, il y a 25 ans, la fondatrice de Muttluks, Marianne Bertrand, est devenue propriétaire de trois chiens alors que sa situation financière était précaire. Flairant l’occasion de gagner un peu d’argent en comblant un besoin, elle a décidé de se lancer en affaires. Après s’être fait la main à confectionner des couvre-pattes en polar pour ses chiens, elle a créé une marque canadienne qui s’est rapidement gagné de nombreux adeptes – tant chez les chiens que chez leurs maîtres.

Au cours de la dernière année, Marianne Bertrand s’est appuyée sur son expérience des fluctuations saisonnières pour traverser la crise de la COVID-19. Et coup de chance : elle a aussi profité de l’engouement actuel pour les animaux de compagnie.

Q : Beaucoup d’entreprises naissent d’un besoin personnel. Qu’est-ce qui vous a amenée à fabriquer des couvre-pattes pour chiens ?

M. Bertrand : Il y a 25 ans, je n’avais aucune expérience des chiens. J’avais récemment acquis trois bassets, et l’hiver était l’un des plus froids de l’histoire – il faisait moins 32 à Noël ! Quelqu’un m’a fait cadeau de couvre-pattes pour chiens. Il s’agissait de minces protections en polar. Quand je sortais avec mes chiens, celui qui portait ces couvre-pattes était content, mais les deux autres refusaient de sortir.

À cette époque, mon mari et moi avions une entreprise qui éprouvait des problèmes de trésorerie et nous cherchions un moyen de financer notre prochain versement hypothécaire. Quand les météorologues ont annoncé que le temps glacial se poursuivrait pendant trois semaines, j’ai compris que les couvre-pattes pour chiens pourraient nous sortir du pétrin.

J’ai utilisé presque tout notre budget hypothécaire pour acheter le matériel nécessaire. J’ai commencé à coudre, et deux semaines plus tard, j’avais récupéré mon investissement et généré un surplus de 2 000 $.

J’arrivais vraiment au bon moment. Des gens sonnaient à ma porte pour acheter des couvre-pattes. C’était avant Internet – la rumeur courait simplement que la propriétaire de la maison bleue vendait des couvre-pattes pour chiens.

Q : Quelles leçons les entrepreneurs potentiels peuvent-ils tirer de votre expérience ?

M. Bertrand : Quand je pense aux entrepreneurs en herbe qui croient qu’ils n’ont pas assez d’argent pour se lancer, je me dis que si j’avais eu 500 $ de plus dans mon compte, je n’aurais pas fait le saut. Si quelqu’un me dit qu’il n’a pas assez de temps, je me dis que si j’avais eu plus de temps, je ne me serais pas lancée. J’aurais eu plus de temps pour résoudre nos problèmes. J’aurais eu le temps de trouver des prétextes pour ne pas agir.

Q : Votre entreprise a l’habitude de gérer ses liquidités en période de vaches maigres. Comment vous y preniez-vous avant la COVID-19 et qu’avez-vous fait différemment au cours de la dernière année ?

M. Bertrand : Notre entreprise est extrêmement saisonnière ; par conséquent, nos liquidités le sont aussi. Notre situation financière a été très serrée à certains moments ; nos fournisseurs devaient parfois attendre jusqu’à huit mois pour être payés. Même si les affaires sont bonnes, la gestion des liquidités peut être délicate. Nous avons d’excellentes relations avec tous nos fournisseurs, ce qui est vital pour notre entreprise. Au fil des ans, nous avons connu des périodes de faibles liquidités, et nos fournisseurs nous ont toujours soutenus. Nous les tenons informés en communiquant régulièrement avec eux. Ainsi, ils nous font confiance et ils sont prêts à trouver des solutions avec nous. Nous ne leur cachons jamais rien – nous les tenons au courant des bonnes et des mauvaises nouvelles.

En ce qui concerne la COVID-19, elle est par chance arrivée à une période de l’année où nos affaires sont naturellement plus tranquilles. Nous sommes habitués à gérer des liquidités plus faibles entre avril et septembre. Cela se produit tous les ans. Les choses auraient été différentes si la pandémie s’était déclarée en décembre ou en janvier, car nous réalisons 50 % de notre chiffre d’affaires pendant les trois mois d’hiver. Le plus grand défi, c’était la gestion de l’automne, à cause de l’incertitude élevée.

Q : Compte tenu de l’été naturellement tranquille et des nombreuses incertitudes à l’horizon, comment vous êtes-vous préparés pour l’automne et l’hiver ?

M. Bertrand : Il y avait beaucoup d’inquiétude dans notre marché en raison de l’inconnu. Un grand détaillant a confirmé qu’il passerait les commandes habituelles. Un autre ne voulait pas s’engager pour l’automne. Puisque de nombreux programmes gouvernementaux pouvaient nous aider à maintenir nos liquidités, nous avons décidé de garder le cap. Nous avons été prudents dans l’achat de nouveaux produits, mais pas trop. Je me suis dit : si nous voulons traverser cette période, nous devons avoir quelque chose à vendre.

Nous savions aussi que le secteur des animaux de compagnie allait bien. Les adoptions d’animaux étaient en hausse. Il y avait une forte demande de nourriture pour chiens. Et les gens qui commandaient de la nourriture commandaient d’autres articles. Le secteur a pris de l’expansion, le nombre de chiens par ménage a augmenté, et la place des chiens dans les familles a continué de croître. L’essor du secteur a été vraiment bénéfique pour nous.

Q : On assiste à une croissance importante de la numérisation et du commerce électronique. Arrivez-vous à suivre le rythme ?

M. Bertrand : Notre présence en ligne a toujours été l’une de nos plus grandes faiblesses. Il y a deux ans, nous nous sommes associés à la BDC dans le cadre du Programme direction croissance. La BDC a confirmé que notre faible présence en ligne était notre lacune principale. Quand la COVID-19 a frappé, nous avions achevé notre première phase de rattrapage – il en restait deux à réaliser. Plutôt que de battre en retraite, nous avons poussé la machine – nous ne voulions pas être dépendants des détaillants. Nous voulions un circuit de vente que nous pourrions maîtriser. Actuellement, nous commençons à gagner du terrain en ligne. J’aimerais que nous ayons une année d’avance, mais tout cela devrait nous profiter à long terme.

Q : Partout dans le monde, les entreprises ont connu des problèmes d’approvisionnement. Dans quelle mesure Muttluks a-t-elle été touchée ?

M. Bertrand : Nous nous distinguons de nos concurrents en fabriquant certains de nos produits au Canada – la gamme Muttluks d’origine est toujours fabriquée à Toronto. Certains de nos concurrents ont manqué de matières premières – soit à cause d’une rupture d’approvisionnement en provenance de la Chine, soit parce qu’ils n’ont pas commandé suffisamment de matériel.

Nous avons eu de la chance à bien des égards, mais les choses ont certainement changé depuis le début de la pandémie. Certains approvisionnements sont retardés ou interrompus. Nous avons appris qu’il fallait planifier nos commandes différemment en augmentant nos réserves en cas d’imprévus – qu’il s’agisse de délais de livraison, de rareté des produits, ou d’autres inconvénients.

Q : Comment avez-vous géré et soutenu vos employés depuis l’arrivée de la COVID-19 ?

M. Bertrand : Au moment du déconfinement, il a d’abord été difficile de ramener nos employés. Ils étaient inquiets d’utiliser le transport en commun et de réintégrer nos locaux. Nous les avons tous appelés à la maison pour leur dire ce que nous allions faire, et nous leur avons expliqué les changements que nous mettrions en place pour qu’ils se sentent en sécurité. Notre personnel administratif est rentré au travail en premier pour mettre en œuvre une grosse partie des changements. Nous avons fabriqué nos propres cloisons, étalé les heures de repas, pris la température des employés à leur arrivée, etc.

Après avoir constaté que nos employés en télétravail avaient moins à faire, nous les avons inscrits à des cours et à des webinaires afin de combler les lacunes de formation qui freinaient notre productivité. Nos employés ont été ravis de cette initiative, et nous les avons joints régulièrement par Zoom pour prendre des nouvelles de leur apprentissage.

Q : Certains de vos produits sont fièrement fabriqués au Canada. Est-ce que le mouvement d’achat local vous a profité ?

M. Bertrand : La fabrication de nos produits au Canada nous a permis de nous distinguer, et même si cela demande un effort supplémentaire, nous croyons que cela en vaut la peine. Nous sommes fiers que beaucoup de nos produits soient fabriqués au Canada. Je sais que le temps est propice pour faire connaître nos racines locales – même si cela devait rapporter seulement pendant la pandémie, il est toujours utile de faire parler de nous.

Q : Comment entrevoyez-vous l’avenir ?

M. Bertrand : Avons-nous des craintes ? Oui. L’inconnu fait peur à tout le monde. Mais il faut sortir de sa zone de confort et affronter l’inconnu si on veut survivre en tant que petite entreprise. Jusqu’ici, nous sommes très heureux de notre situation – même si nos résultats de cet hiver sont seulement moyens, nous serons en très bonne posture.