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RBC
« Mocassins et talons hauts » est un mouvement qui vise à renforcer les ponts entre les cultures et à éliminer les préjugés en affaires. Il est issu de la collaboration de Mélanie Paul et Danièle Henkel, qui souhaitent créer une économie inclusive éliminant les obstacles pour les entrepreneures, particulièrement celles qui sont autochtones

Cet article a été initialement publié sur Diversité et inclusion le 9 décembre 2021

Citation de Nadine Renaud-Tinker

« Mocassins et talons hauts est le fruit d’une collaboration unique en son genre, qui représente, voire allie, les communautés autochtones et les femmes entrepreneures : deux segments fondamentaux de la riche diversité culturelle de notre pays. Cette entrevue met en lumière le grand travail que leurs instigatrices, Danièle Henkel et Mélanie Paul, font pour abolir les préjugés et sensibiliser les gens à l’identité autochtone et aux défis des femmes entrepreneures. Dans un contexte de réconciliation et de vérité, d’inclusion et de leadership au féminin, nous sommes fiers de vous faire part de cet échange très pertinent et aligné sur nos valeurs fondamentales, à RBC. Je lève mon chapeau à Danièle et Mélanie pour leur leadership en matière de diversité et d’inclusion : nous avons tous à gagner lorsque nous travaillons ensemble pour créer une économie inclusive qui améliore les conditions et la prospérité de toutes nos communautés. »

-Nadine Renaud-Tinker, présidente régionale, Direction du Québec, RBC Banque Royale

Au premier abord, Mélanie Paul et Danièle Henkel ne semblent pas avoir grand-chose en commun, en raison des différences de culture, de génération et d’expérience qui les séparent. Madame Henkel est présidente de Henkel Média. Ses réalisations professionnelles, les causes qu’elle défend et ses initiatives philanthropiques ont marqué de façon importante la communauté québécoise et le reste du monde. Elle incarne une voix puissante qui a habilité des générations de femmes fortes et confiantes, et cumule des dizaines d’années d’expérience, d’influence et d’intuition.

Mélanie PaulMélanie Paul est une femme d’affaires autochtone très respectée qui a remporté des prix. Elle s’est fait les dents en gérant l’entreprise familiale avant d’entreprendre de nombreuses initiatives et activités qui créent des occasions pour les autochtones et soulignent leur présence.

Malgré leurs différences, dès leur première rencontre, mesdames Paul et Henkel ont réalisé à quel point elles se ressemblaient, car elles partagent le même profond désir d’habiliter les entrepreneures, d’unir les cultures et d’éliminer les obstacles et les préjugés qui empêchent les femmes, et particulièrement les femmes autochtones, de réaliser leurs aspirations entrepreneuriales.

Ensemble, elles ont fondé Mocassins et talons hauts (ou Moccasins and High Heels en anglais), un projet qui est à la fois destiné aux femmes autochtones qui souhaitent prendre le contrôle de leur vie en fondant leur propre entreprise et réalisé en collaboration avec celles-ci. En rapprochant les cultures, elles visent à réduire, voire éliminer les préjugés dont sont victimes les femmes autochtones.

Dans le cadre d’une entrevue récente, mesdames Henkel et Paul parlent de leurs motivations, de leurs objectifs et de leurs stratégies pour habiliter les entrepreneures autochtones.

Q : Qu’est-ce qui vous a inspiré à créer Mocassins et talons hauts ?

R : En tant que femme autochtone, madame Paul a vécu aux premières loges les difficultés liées à la création de sa propre entreprise, notamment les contraintes fiscales et les conséquences de la Loi sur les Indiens. « Pour moi, il a toujours été clair qu’un jour je contribuerais à soutenir les femmes autochtones en matière de développement d’affaires. Je n’ai pas toujours su comment, mais je savais que c’était l’une des missions que je souhaitais accomplir au cours de ma vie. »

Danièle HenkelEn ce qui concerne madame Henkel, la défense d’une économie plus inclusive a toujours fait partie de ses objectifs. « En tant qu’immigrante et femme d’affaires, j’ai fait face au rejet et à plusieurs défis à cause de mes origines et de ma différence. J’ai été jugée et subis le désintérêt. J’ai donc promu la richesse et l’importance des femmes, ainsi que la diversité, pendant des années. C’est pour cette raison qu’elle a choisi d’accompagner madame Paul et de la parrainer dans le cadre de ce projet, en espérant qu’ensemble, elles parviendront à souligner la valeur de la différence, à conscientiser les gens et à les inciter à effectuer consciemment des changements positifs.

« Nous espérons créer un mouvement unificateur qui encouragera le développement de partenariats transformateurs entre les entrepreneures autochtones et non autochtones dans le respect mutuel de leurs cultures et de leurs identités », explique madame Paul, qui ajoute que l’accélération de la réconciliation des peuples comblera les brèches qui séparent les communautés.

Q : Pourquoi considérez-vous qu’il est important d’établir des liens entre les femmes autochtones et non autochtones dans le cadre de ce projet ?

R : « Cela fait des années que nous parlons de réconciliation entre nos peuples », explique madame Paul. « Je crois sincèrement que le monde des affaires a un rôle à jouer sur ce plan. » Elle considère que la création de projets significatifs permettra aux femmes autochtones et non autochtones d’apprendre à se connaître, de reconnaître le passé et de créer des ponts plus solides qui leur permettront de réussir ensemble à l’avenir.

Pour sa part, madame Henkel pense que ces ponts amèneront les femmes à découvrir leurs cultures respectives, ce qui leur permettra d’apprendre différentes façons de faire les choses. « Le fait d’oser montrer nos points faibles respectifs nous amènera à nous ouvrir à apprendre sans porter de jugement. »

Q : Voyez-vous l’entrepreneuriat comme une façon d’aider les femmes autochtones à se réapproprier leur identité ?

R : Pour madame Paul, c’est l’entrepreneuriat qui lui a permis de comprendre qui elle est, de gagner confiance en elle et de découvrir ses forces et ses passions. « C’est mon parcours personnel, mais aussi mon parcours d’entrepreneure qui m’ont permis de réaliser que j’étais unique, et à quel point il était important de mettre l’accent sur mon identité », dit-elle. Madame Henkel souligne elle aussi le rôle que l’entrepreneuriat peut jouer pour aider les gens à prendre le contrôle de leur vie. « L’indépendance financière nous donne un sentiment de fierté et de dignité au sujet de notre identité et de notre place au sein de la société. »

Q : Pourriez-vous me nommer certains des obstacles auxquels font habituellement face les femmes autochtones lorsqu’elles fondent une entreprise ?

R : Madame Paul cite les nombreux obstacles qui se dressent sur la route des femmes des Premières Nations qui souhaitent fonder une entreprise. « Selon une étude réalisée en 2019 par Francesca Croce et à laquelle j’ai moi-même participé, sur le plan personnel, c’est souvent le manque de soutien de la part de la famille, le manque de modèles et le manque de formation générale qui font en sorte que les femmes autochtones ont du mal à démarrer », explique-t-elle. Sur le plan structurel, le manque de financement, la mauvaise connaissance des marchés et la concurrence constituent aussi des obstacles. Toutefois, sur le plan socioculturel, c’est le choc des visions qui nuit aux femmes.

« L’un des éléments les plus importants qui limitent les femmes qui veulent fonder une entreprise, c’est leur vision du capitalisme », explique madame Paul. « Elles sont attachées au mode de vie et aux valeurs collectives de leur communauté et souhaitent donc avoir une mission plus coopérative », dit-elle, indiquant que ce qui distingue les entreprises des femmes autochtones, c’est souvent la relation qui unit leurs objectifs personnels et professionnels, lesquels sont enracinés dans leur désir d’apporter une contribution à leur communauté.

Q : Que perd la société lorsque des femmes, et surtout des femmes autochtones, n’ont pas l’occasion de démarrer leur propre entreprise ?

R : Mesdames Henkel et Paul sont en accord pour dire que les entrepreneures aident à améliorer les conditions et la prospérité de leurs communautés et que les avantages économiques et sociaux que visent leurs entreprises doivent profiter à leur communauté.

« De nombreuses études et statistiques ont démontré que les entrepreneures sont motivées par le désir d’aider, d’améliorer les conditions de vie et de conscientiser les gens au sujet de l’urgent besoin de changer nos comportements afin que notre écosystème devienne plus responsable et équitable », déclare madame Henkel.

Q : Comment les entrepreneures peuvent-elles participer à Mocassins et talons hauts ?

R : Mocassins et talons hauts comporte deux phases. La première est une série Web qui présente des possibilités de réseautage entre des entrepreneures autochtones et non autochtones. « Cette série vise à souligner les véritables défis et obstacles auxquels font face les membres des deux cultures, mais aussi les réussites dues à une communication ouverte et respectueuse », explique madame Henkel.

La deuxième phase est la mise en œuvre de programmes de formation précis donnés par des experts, dans le cadre d’une tournée, à des membres de communautés autochtones qui s’intéressent à l’entrepreneuriat. Ces programmes de formation cibleront aussi des entreprises autochtones et non autochtones qui souhaitent recruter des autochtones, et rassemblera six communautés au total. Les objectifs de cette tournée de formation sont nombreux et visent principalement à rassembler ces femmes et leur offrir un espace d’échange sûr, de sensibiliser les participantes aux réalités de toutes et chacune—lesquelles sont parfois incomprises ou emplies de défis bien particuliers à ce groupe d’individus—et enfin, de leur permettre de travailler sur leur confiance, de se soutenir mutuellement et de créer une dynamique d’entraide et de bienveillance.

Q : Quelle a été la réaction, jusqu’à maintenant ?

R : Mesdames Henkel et Paul ont toutes deux reçu de nombreux appels d’entreprises et de professionnelles de tous les horizons et de toutes les nations, autochtones ou non, qui veulent participer au projet d’une façon ou d’une autre. « Les femmes autochtones souhaitent s’unir et avoir des modèles », déclare madame Paul. « De leur côté, les entrepreneures québécoises veulent se rapprocher, participer et renforcer les liens. »

Certaines organisations autochtones ont communiqué avec Mocassins et talons hauts, comme la Commission de développement économique des Premières Nations, qui a demandé à l’organisme de faire une présentation lors de son grand rassemblement économique du mois de novembre. « Ils voient cela comme un moment unificateur et prometteur, et comme un développement positif qui contribuera à lancer des projets pour les communautés », explique madame Paul.

Mais les deux femmes conviennent qu’il reste beaucoup de travail à accomplir et qu’il faut choisir des partenaires qui partagent leurs valeurs, qui veulent vraiment faire les choses différemment et qui souhaitent accompagner l’équipe à long terme.

Q : Qu’est-ce qui vous a inspiré le choix du nom « Mocassins et talons hauts » ?

R : « Pour moi, ce nom représente la réconciliation d’une dualité intérieure qui m’habite depuis longtemps », explique madame Paul. « C’est un nom qui a une histoire et un sens. Il représente une unité entre mes racines, ma culture autochtone et ma culture québécoise, ainsi qu’entre la mère et l’entrepreneure que je suis aujourd’hui. »

Elle ajoute que dans le cadre de son nouveau partenariat avec madame Henkel, ce nom souligne la complémentarité de leurs forces et de leurs cultures et représente le pont qui doit être jeté entre elles.

« Nos antécédents, nos origines, nos générations différentes… On pourrait croire que tout nous sépare, mais nous nous sommes toujours comprises. Nous sommes une démonstration en chair et en os de ce que représente Mocassins et talons hauts », conclut madame Henkel.